Private Whisky Society

Ou comment rendre le whisky encore plus japonais

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On a tendance à peu le savoir, mais il existe un véritable savoir faire japonais dans la fabrication des fûts. A tel point qu’ils sont devenus aujourd’hui partie intégrante de la “japonisation” du whisky local.

Car comme vous le savez certainement, à l’époque où le whisky est arrivé au Japon, les ingénieurs du pays copiaient au plus près les techniques, produits ou machines que le pays ne produisait pas encore. Le film d’animation d’Hayao Miyazaki “Le Vent se Lève” en est le parfait exemple, même si le sujet traité est un peu moins fun que le whisky. Toujours est il que par ces procédés, le whisky japonais, tel que ramené par Masataka Taketsuru, était à l’époque une copie du scotch. Et si à l’époque cela ne posait pas forcément de problème, la mondialisation et l’attrait international pour le whisky japonais l’ont obligé à se démarquer.

La tradition japonais de la tonnellerie et l’arrivée du style occidental

Commençons par le début de l’histoire. La tonnellerie japonaise naît entre le 14ème et le 15ème siècle, époque où le rabot est introduit dans le pays depuis la Chine. Les fûts créés dès lors servaient principalement à faire vieillir le saké et le shochu, les deux principaux alcools produits et consommés dans le pays. Très différents des fûts européens, ils sont droits, comprenez sans renflement vers le milieu, et ont plutôt tendance à s’évaser à leurs extrémités. Les Saké-Daru (fûts à saké) sont de plus produits en cèdre du Japon pour apporter légèreté, tranchant et fraicheur au liquide. Mais ces types de fûts, cerclés de bambou fendu, ne sont pas utilisés pour la maturation du whisky, même pour ceux, peu nombreux, qui sont fabriqués en chêne.

Les whiskies japonais et leurs fûts

La tradition de la tonnellerie à l’occidentale aurait été introduite vers 1850. Mais comment une telle technique aurait elle pu arriver dans l’archipel nippon sachant que le Sakoku, loi interdisant la sortie des japonais et l’entrée d’étrangers dans le pays, était alors en place? Il fallu un coup du sort. En 1841, un petit bateau de pêche coule avec à son bord Nakahama Manjiro. Il s’échouera sur une petite ile du pacifique et sera sauvé par un baleinier américain qui le ramènera à Fairhaven, Massachussetts. Il y deviendra tonnelier afin de construire des fûts pour recueillir l’huile de baleine. 10 ans plus tard il prendra le risque de rentrer dans son pays et réussira à éviter la peine de mort en devenant un interprète et permettant d’améliorer l’image des USA dans le pays, plutôt méfiant. Ainsi arrivera la technique pour produire des fûts à l’européenne au Japon.

L’utilisation dans le whisky

Comme vous le savez, puisque vous avez lu notre encyclopédie du whisky, les fûts ont une importance cruciale dans la fabrication du whisky. Autant le profil aromatique du whisky est créé lors de la fermentation, autant la barrique dans laquelle il vieillit lui permet de s’agrémenter de nouveaux arômes afin de lui apporter plus de complexité. Mais avec une demande mondiale qui ne fait que s’accroitre, les fûts sont de plus en plus rares et chers. Il faut donc savoir bien les entretenir et, pour certaines distilleries, savoir les construire. Certains des fûts neufs les plus qualitatifs du monde sortent des tonnelleries japonaises, notamment de celle de Chichibu. Bien que minuscule, la distillerie d’Ichiro Akuto souhaite avoir un contrôle parfait de sa production et possède l’une des meilleures fabriques de tonneaux du pays.

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Car à cause de la tradition d’entreprise au Japon les producteurs ont plus tendance à se faire la guerre (commerciale) plutôt que de s’entraider. Les distilleries possèdent pour la plupart leur propre tonnellerie, car les fabricants de wadarus, fûts à la japonaise, sont toujours bien plus nombreux que ceux de yodarus, les tonneaux européens. Nikka possède par exemple Nikka Seidaru. Cette politique a d’ailleurs obligé plusieurs entreprises à se spécialiser dans d’autres domaines, généralement la parqueterie ou parfois la menuiserie. Bien que désormais partiellement rattachée à la distillerie Kirin, Showa Yodal avait du se spécialiser dans un autre domaine, le parquet. Et avec la crise du whisky japonais des années 90, qui vit de nombreuses distilleries fermer, dont Karuizawa, certaines durent fermer suite à la pré retraite forcée de leurs maitres comme Mitsuo Saito, ancien tonnelier d’Hanyu.

Mais comment font les plus petites distilleries du pays qui n’ont pas les moyens d’avoir leur propre tonnellerie ? Elles font appel à Ariake Barrel, dernière tonnellerie indépendante du pays. Après avoir commencé en 1973 comme fabriquant de caisses de saké. Devenant par la suite productrice de barriques pour le shochu, la majorité de son activité tend de plus en plus vers la fabrication de fûts pour le whisky. Chaque année, 10 tonneliers s’occupent d’entre 4.000 et 5.000 fûts, qu’ils produisent ou rénovent, de tous les types et toutes les tailles.

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Et c’est en plus une tonnellerie qui pratique encore la chauffe à l’ancienne, contrairement à la grande majorité des fabricants mondiaux. Après une première préchauffe, on verse une pelletée de sciure dans le futs qui prend feu instantanément. C’est par la suite un autre tonnelier qui l’éteindra avec de l’eau, contrôlant le brulage à vue d’homme. Ariake fait 100% confiance à ses artisans, tous experts reconnus. C’est d’ailleurs grâce à ce talent qu’ils produisent un des fûts qui est sûrement l’un des plus difficiles à produire, le fût en chêne japonais, le fameux Quercus Mizunara, sur lequel nous reviendrons plus tard.

Le fût comme outil de japonisation du whisky

Il n’existe dans la loi japonaise, contrairement à l’Ecosse, aucune règle concernant le type de bois à utiliser dans la production du whisky. Comme nous l’évoquions plus haut, et également dans un souci de conserver un profil proche du standard écossais, les japonais ont eu tendance à copier. Mais de nouvelles techniques permettent d’agrémenter le spiritueux.

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Si vous vous baladez chez Ariake Barrel, vous trouverez sur les étagères des petits flacons en verre avec écrit dessus Kuri, Sugi ou encore Sakura. Avec ce dernier nom certains d’entre vous l’auront deviné, il s’agit d’expériences sur d’autres bois. Mais autant vous dire que les écossais et irlandais ont déjà fait des tentatives et que ce n’est pas pour rien si le whisky est vieillit dans des fûts de chêne. La plupart des japonais sont élevés dans des barriques de chêne blanc américain, l’ajout de copeaux de bois est interdit et la technique du Hogshead n’est pas forcément très prisée, de fait comment les japonais peuvent ils utiliser ces autres bois? Et bien tout simplement en créant les fonds de leurs fûts avec! Cela permet d’apporter de nouvelles notes sans avoir à dénaturer totalement le contenu. Car à ce jour, à notre connaissance, seul le Blend Tory de Suntory, uniquement vendu au japon, utilise des fûts 100% cèdre, et ce avec une extrême parcimonie.

Mais la japonisation du whisky par les barriques ne vient pas que des fonds des fûts, il provient également d’un bois local, quasiment plus utilisé, et vous comprendrez vite pourquoi, le chêne japonais.

Le célèbre et rare chêne japonais

Bien que, comme nous l’avons évoqué, le whisky japonais vieillit essentiellement en fûts de chêne américain, et parfois européen, le pays possède une rareté avec des caractéristiques uniques au monde, le Quercus Mizunara ou chêne japonais. Son bois permet de fabriquer des fûts parmi les plus rares et recherchés par les fabricants. Les plus recherchés sont ceux provenant d’Hokkaido, où le climat donne au bois une fibre plus dense et des cernes plus resserrées, qualités hautement recherchées.

D’un point de vue aromatique, les élevages courts accentuent les aromes de miel, quand les vieillissement plus longs apportent plus d’arômes de noix de coco et d’encens que leurs confrères. Sa densité lui permet également d’apporter plus doucement au whisky stocké la totalité de ses arômes, même si certains sont exacerbés.

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En 1924, lorsque Yamazaki, première distillerie de whisky de l’archipel, ouvre, elle n’utilise que des fûts de sherry en chêne européen, alors la norme écossaise. Sans oublier les bonnes relations de Shinjiro Torii, qui avec sa boutiques d’import d’alcool Kotobukiya aujourd’hui devenue Suntory, possédait de bonnes relations avec les producteurs espagnols. La 2ème guerre mondiale et la difficulté d’approvisionnement qu’elle entrainera fera se tourner la distillerie vers le Mizunara, bien connu des brasseurs et vignerons locaux. Ces derniers ne l’utilisaient cependant que du fait de sa disponibilité.

En 1934, ce sera également l’une des raisons pour laquelle Taketsuru construira la première distillerie du groupe Nikka, Yoichi, à Hokkaido, avec la proximité de la tourbière d’Ishikari. Il débauchera également de sa menuiserie Yoshiro Komatsuzaki, talentueux manieur de Mizunara. Le chêne japonais constituera la totalité les fûts de chez Nikka jusqu’en 1965 pour être supplanté définitivement en 1970 par le fût en chêne américain ou Quercus Alba. Pourquoi donc me direz vous alors que ce bois est si recherché et prisé, certains écossais ayant même créé une gamme spéciale pour les élevages en Mizunara, comme Bowmore ou Chivas?

Tout simplement car ce chêne et les fûts qu’il produit sont certainemet les plus difficiles à travailler.

Le cauchemard du Mizunara

Lorsque le Japon a commencé à se moderniser, il a fallu une quantité énorme de bois de construction, et avec sa solidité et sa disponibilité, le Mizunara fut bien sur utilisé en masse. Les plus gros arbres du pays furent coupés dans des proportions dantesques dans un souci de productivité. Et c’est là qu’arrive le premier problème. Vous avez bien lu, le PREMIER problème.

Un Mizunara apte à être utilisé pour la construction de barriques doit mesurer au moins 70 à 80cm de diamètre. Ce processus met entre 150 et 200 ans suivant le terroir de l’arbre, ce qui entraine des problèmes de disponibilité. En comparaison quelques dizaines d’années suffisent pour le chêne américain.

Cette disponibilité est également mise à mal par la concurrence des bâtisseurs. Car autant la qualité de la majorité des bois de construction en Mizunara ne permettent pas de faire des fûts, autant l’inverse ne se vérifie pas. Il devra être retravaillé avec des pertes énormes, parfois plus de 50%, pour pouvoir produire un tonneau, car dans ce cas le bois doit impérativement être coupé dans le sens de la fibre. En plus des difficultés d’approvisionnement, cela le rend particulièrement cher, car au delà des menuiseries, les tonneliers se battent désormais aux enchères avec les autres pays producteurs de whisky. Les prix ont bondi et un fût en Mizunara coute le double d’un en chêne américain pour atteindre plus de 2.500 euros.

Ce problème a d’ailleurs amené Ariake Barrel a ne plus travailler qu’en direct en réduisant sa production. Et le manque de disponibilité a automatiquement réduit le nombre de barriques en chêne japonais chez les fabricants. Ariake Barrel en produit 200 par an, Suntory en produit 150 et Nikka seulement 5.

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Autre souci pour les tonneliers, son bois est très particulier. Il est particulièrement tortueux et noueux et le travailler devient vite un enfer. Le fait qu’il doive être coupé uniquement dans le sens de la fibre n’aide pas. Cela rend la coupe difficile et, là ou un chêne américain donnera 50% et parfois plus pour produire des fûts, le Miziunara ne vous en laissera que 20 à 30%

Autre problème, le chêne japonais cicatrise mal. Les excroissances appelées Tyloses, qui permettent au bois de garder son intégrité, ont beaucoup de mal à se former dans du bois si dense, là où le chêne américain en produira même sur des coupes dans le sens contraire de la fibre du bois. Et même s’il est bien découpé, il y aura tout de même des problèmes. Sur 10 fûts de chêne américain, si un seul fuit, c’est beaucoup. Avec du mizunara, les 10 finiront par fuir.

Et pourtant des méthodes existent, notamment le Kakishibu, qui consiste à utiliser du jus de kaki concentré sert d’enduit pour les fûts. A la base utilisé pour imperméabiliser les couvercles et les cuves washback, on s’en sert également pour jointer les zones de fuite. Mais même avec ce soin, le fût finira par couler.

De par sa typicité et de certains aromes exacerbés dans sa palette et malgré un vitesse de vieillissement plus douce due à sa densité, le Mizunara doit être utilisé avec parcimonie et le whisky contenu doit être suivi avec attention pour ne pas vite devenir trop marqué par les arômes évoqués plus haut, et surtout pour remarquer au plus vite les nouvelles fuites afin de les jointer. Pour parler des vieillissements en Mizunara, on utilise en général le terme Gaman, mot japonais entre patience, endurance et maitrise de soi.

Entre tradition et modernité

Vous l’aurez vu avec cet article, le whisky japonais est définitivement comme son pays, entre tradition et modernité. Entre tradition conservée du fût de Mizunara et nouveautés avec les autres types de barriques, avec des techniques modernes (à l’époque) héritées par hasard à une époque où le Japon ne vivait que dans sa tradition nationale, les 265 ans passés sous le Sakoku. Si vous vous demandiez ce que le whisky japonais pouvait avoir de si spécial, vous avez déjà un gros élément de réponse.



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